≡ Menu

En mémoire de Pierre Grouix (1965-2025)

Nous avons appris avec une grande tristesse le décès soudain, le 10 juillet 2025, de notre ami le poète Pierre Grouix qui appartenait depuis 2023 au comité de sélection de notre association pour le prix international du poète résistant.

Lorrain par sa mère et Pied-Noir du Maroc par son père, Pierre Grouix est né à Nancy, en 1965. Ancien élève de l’ENS, agrégé de lettres, il est l’auteur d’une trentaine de livres : des essais sur Hugo, Michaux, Zweig, Rimbaud, Breton, Darwich, Camus, et sur les littératures de Finlande et de Norvège. Pierre Grouix a également publié des traductions du suédois de Finlande, du danois, du norvégien et, à ce titre, il a reçu, en 2007, la bourse de traduction du Prix Européen de Littérature.

Voici quelques-unes de ses publications:

Michaux : corps et savoir, E.N.S. éd., 1998.

Laboureur de larmes (Taj Mahal), Rafael de Surtis, 1999.

Étude sur Rimbaud, Ellipses, 2001.

Le Surréalisme, Ellipses, 2002.

Sentiment du chèvrefeuille (Camilla Gjørven), Rafael de Surtis, 2003.

Russes de France, d’hier à aujourd’hui, éd. du Rocher, 2007.

Une jeunesse marocaine, Français du Maroc, éd. du Rocher, 2008.

En ce mardi 22 juillet 2025 où sont célébrées ses obsèques religieuses en l’église Saint-Nicolas de Neufchâteau, nous souhaitons honorer sa mémoire vive par une présentation du long poème qu’il a écrit sur le grand amour de sa vie : Sentiment du chèvrefeuille.

En voici quelques extraits publiés avec l’aimable autorisation de son éditeur Paul Sanda.

 

Pierre GROUIX

Sentiment du Chèvrefeuille

(Camilla Gjørven)

Collection Pour une Terre interdite

(Rafael de Surtis éditions, 2003)

Ce long poème sans numérotation ni majuscule

 

Sentiments du Chèvrefeuille

dit superbement,

avec les mots les plus simples dans une composition inattendue,

un amour qui ne peut avoir de pluriel,

à travers le symbole d’un chèvrefeuille enlacé à un arbre :

de la fusion à la désolation

une fois l’arbre en allé ou l’aimé(e) enfui(e).

(…)

les mots de l’amour, le chèvrefeuille les reçut des branches de l’arbre à
ses feuilles, source d’été
*
le clair du ciel et le sang vivant, le chèvrefeuille les recevait de l’arbre et
l’arbre du chèvrefeuille
*
ce qu’il aimait de lui (l’irréel et le pur, silence et rêve), le chèvrefeuille
l’aimait à travers l’arbre
*
le sang en torche dans ses veines et la flamme d’incendie, par l’arbre
seulement
*
le tronc aimé de l’arbre, le chèvrefeuille l’aurait reconnu sous la foudre,
d’instinct
*
l’arbre de son amour, le chèvrefeuille en devinait l’ombre dans les nuits
et les parfums sous la pluie
*
(…)
à tant aimer, le chèvrefeuille se rêvait racines et branches, aubier et
frondaisons
*
arbre ou autre, les mots qu’il aimait avaient même nombre de lettres,
même orée et même fin
*
(…)
jamais un mot plus haut que l’autre, le pouls d’une source, plus que les
orgues du mascaret, et plus que les violences, une pierre blanche posée
au centre exact de l’eau
*
il n’appelait jamais que le plus clair de l’encre, surtout ne pas blesser,
sauver le vent
*
commis aux petites écritures, le chèvrefeuille ne rêvait pas aux longues
laisses, aux phrases de sept lieues
*
plus loin que le détail, le détail du détail, plus loin encore l’invisible
*
fil de l’encre, fil du sang, fil d’ariane
*
allégeance à l’élégance
*
par un fil invisible qui lierait le cœur aux mots, par le chas du jour vers
les mots du cœur
*
le chèvrefeuille passerait sa presque vie à écrire d’encre neuve, méchants
accents, images dont la musique ne veut
*
la vie qu’il devait à l’amour et au rêve, le chèvrefeuille la passait à leur
deuil, l’encre d’après et le pays blessé
*
ne restait à la plante qu’à conduire le chant triste des accents, à l’entonner
pour rien dans la forêt seule où n’entrait de lumière que celle rouge du
sang
*
aimer, coudre le cœur lilas aux accents sombres de la rivière
*
par les mots plus légers, du tout bout de l’encre ou de l’âme, l’aile de
l’ange et déjà l’invisible
*
ce dû de fleurs à l’arbre, le chèvrefeuille s’en acquiHait d’un mot une
rose, d’un aster une voyelle
*
rêvant de mots plus légers qu’une fleur, le chèvrefeuille les posait sur un
peson en or de la taille d’une virgule puis les tournait mille sept fois dans
les cercles rouges de son cœur
*
d’un plateau l’autre de la balance à mots, le corps rouge de la plante et la
plume de l’ange, le merle blanc et une pierre de source, le cri du coq et
les ailes de la choueHe, l’entier volume du temps
*
d’un mot l’autre, d’une virgule sa sœur, en des mots rouges autant que
dire se peut
*
ceHe phrase à rouge à reprendre, ce fil à poursuivre, trouver les mots du
cœur
*
suivre la ligne exacte et juste, connaître le cœur par cœur, écrire rouge
*
poseur d’accents, rêveur de rêve, le chèvrefeuille dirige du cœur les mots
qu’il laisse filer, ligne des partitions, aiguilles de pin ou petites notes du
sang
*
(….)
ce qu’il y eut d’amour entre eux, le chèvrefeuille, le tient au plus près de
lui, terre proche et arceaux bleus du temps
*
ce que le chèvrefeuille apprenait de lui-même et du monde, il ne cessait
de l’oublier pour se souvenir de l’arbre et de lui seul
*
il erra mille cent siècles au large de lui, traits sombrés à la souvenance
d’un pays
*
amour, souvenir de racines rouges et de rivières blanches
*
(…)
l’arbre qui est son visage, le chèvrefeuille l’aime à jamais, mélodie rouge,
sentiment invisible et usage du silence
*
(…)

Avec l’aimable autorisation de l’éditeur Paul Sanda

Extraits de Sentiment du Chèvrefeuille

(Camilla Gjørven)

Collection Pour une Terre interdite

(Rafael de Surtis éditions, 2003)