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HANADI ZARKA

Biographie de la poétesse Hanadi Zarka

Hanadi Zarka, poétesse syrienne, est née en 1974. Avant 2011, elle a participé à des rencontres poétiques en France, en Suisse, au Danemark et en Angleterre. Elle vit toujours en Syrie et elle utilise des symboles pour dire, dans ses poèmes, les épreuves que subit un peuple de résistants.

La plupart de ses recueils sont parus au Liban , aux éditions Al-Nahda, en particulier  E’adat al-fawda ila makaniha (Remettre le chaos à sa place), qui a remporté en 2004 Le Prix du poète Mohamed Al-Maghout pour les jeunes poètes.

 C’est elle-même qui a choisi les extraits présentés ici de 2 recueils : Al-hayat hadia fi al-vitrine (La vie est calme dans la vitrine), 2016 et de  Ra’ytu ghayma sahiba… same’tu mataran aswad (J’ai vu un nuage pâle… J’ai entendu une pluie noire), 2018.

Préface du poète libanais Abbas Baydoun

pp. 5/6 du recueil La vie est calme dans la vitrine.

Le nouveau recueil de Hanadi Zarka La vie est calme dans la vitrine, est écrit d’un seul souffle au point de le considérer comme un seul texte. Ce sont des textes courts mais ils sont liés, et nous passons d’une strophe à l’autre comme s’il s’agissait d’une longue strophe. Ainsi, nous comprenons pourquoi Hanadi n’a pas mis des titres à ses poèmes. À travers ce procédé, nous nous rendons compte que les strophes composent les notes d’une mélodie chuchotée dans la maison, la mélodie des voix de la rue, des temps, des soirées, de l’habituel et des tâches matinales. Ces voix, venant de partout, s’enchevêtrent avec les jours, poursuivent leurs heures, leurs répétitions, leurs fêtes éclairs et rapides, leur mouvement spiral, progressif, dispersé et habituel.

C’est la musique de chaque jour, les reproductions, les proliférations et les répartitions de ses heures. C’est la genèse de cette mélodie fréquente et basse qui exprime, sans monter son volume ni son chant, ce qui semble une guerre interminable, l’avènement d’une catastrophe prochaine, une destruction aveugle et une tristesse perçant le centre du mal et sa vérité foudroyante.

C’est l’épopée qui a pris une forme quotidienne, le mythe se métamorphosant en des détails dispersés. C’est la guerre devenant une vie, un temps, des habitudes, des comptes à rebours, des reprises de la vie. C’est la guerre devenant une vie à l’envers, qui n’aspire pas à l’avenir mais recule en arrière. Certaines strophes nous tombent dessus réveillant les souvenirs comme des surprises qui se passent à l’instant, comme si la vie se réécrit par le deuil, comme si la guerre a lieu dans le temps.

Il est rare de vivre la guerre avec un destin pareil à celui qu’on voit dans le recueil de Hanadi Zarka. C’est la guerre qui réécrit le temps et la mémoire, occupe également la réalité et le passé. 

Premier recueil

La vie est calme dans la vitrine de Hanadi Zarka

p. 69

Notre vieille voisine qui possède
Une maison obscène abandonnée
Des chapeaux scandinaves
Des robes de nuit style seizième siècle
Est apparue aujourd’hui dans la nuit
Blanche comme la mort
Ses ongles ont grandi
Ses moustaches ont poussé
Elle hocha le regret par la canne du désir bercé
En s’appuyant sur le mur du néant…

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p. 70

Les algues tiennent compagnie aux maisons détruites

Elles cachent leur nudité
Deviennent vertes
Pour leur procurer la joie
Toutes seules, les algues 
Gardent l’absence des propriétaires 
Ce sont elles qui cachent l’oxygène
Pour le donner aux revenants de la mort, asphyxiés par le gaz 
Les algues poussent sur les tombes
Les morts oublient la mort
Sortent la nuit
Touchent leur souplesse 
Se rappelant de leurs corps 
Et la nuit déborde de pluie…

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p. 103

Pourquoi tu ne répares pas les robinets tombés en panne ?
Parce que la guerre arrive.
Les murs de ta maison sont fissurés.
La guerre viendra et détruira toute la maison.
Pourquoi tu donnes tes nouveaux vêtements à tes amis ?
Je n’aurai pas besoin de vêtements dans le cimetière. 
Tu fumes trop, tu ne lis plus comme autrefois ?
Lire des livres ne sert à rien au sein de l’enfer.
C’est quoi ce couteau que tu portes dans ton sac à main ?
J’ai peur de survivre à la guerre.

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p. 105

Il me manque tant de choses

Que je sois en forme,
Que l’univers arrête de crier
D’arrêter l’édition des livres par exemple,
Je pense au monde décousu lorsque je dors
 Je le liasse à ses illusions.
Peut-être que les avions se tromperont en bombardant, et dirai-je, les combattants se mettront d’accord pour une trêve,
Ils profiteront de mon sommeil et s’échangeront des insultes à voix basse
Ou par exemple j’imaginerai que je me lèverai le matin pour dire je suis juste fatiguée…
Ne sachant pas comment répondre à la question frivole de mon amoureux : aimes-tu toujours boire le café toute seule ?
Il ne comprend pas que je partage le café avec les photos des morts dans les rues et celles accrochées sur les poteaux d’éclairage !
Mon amoureux insiste à me nommer femme aisée
Et moi, je te déteste mon amoureux 
Comme je déteste les papiers 
Les stylos
Les cahiers de coloriage
Les directeurs de maisons d’édition
Tous ensemble
Et je veux que ce bruit se calme autour de moi
Pour que j’arrête de mourir.

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Second Recueil

J’ai vu un nuage pâle

J’ai entendu une pluie noire

Poème N. 3

La tristesse, a-t-elle une couleur ?
Je touche la bague de ma mère,
Elle était dorée avant le départ de mon père.
Les papiers de notre livre sacré sont jaunis et tombés
La tristesse, a-t-elle des couleurs ?
La voisine veuve porte le noir,
Les traits de son visage grandissent et se fanent.
C’était une pomme,
Il est devenu jaune comme un citron
Je ne sais pas comment dessiner la tristesse,
Mais une ombre s’étend, comme celle de la guerre.
Elle a longtemps couvert le cadavre du pays/mon cadavre 
Par la couleur rouge.

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Poème N. 4

Demande au vendeur les couleurs des cercueils et ses formes
Blanche et rose
Blanche et verte
Blanche et bleu clair
De belles couleurs
J’enverrai ma mère à la mort dans un beau cercueil
Mon frère revenant de Russie m’offre une grande matriochka
J’ouvre les poupées
Je prends la petite
Je lui dis :
C’est moi
La petite matriochka qui n’a pas fait d’enfant
Je serai la dernière fille de la famille
Je prends la poupée
Je regarde le cercueil avec distraction
Qui me choisira un beau cercueil ?

********************** !

Poème N. 12

J’aurai un enfant
Sans trop de difficulté
Je malaxerai la terre dans mon sang
J’y  soufflerai de mon esprit
Et je la pousserai.
Il sera fragile et n’aimera pas les guerres
Mais il aimera tant les femmes
Il appellera tous les morts : Ô ma mère
Mais mon enfant né du néant
Aura des enfants verts,
Qui regardent l’expérience
Alors que leurs pieds s’enfoncent dans la tempête

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Poème N. 20

Quelqu’un tirera sur moi,
Et moi je suis lâche, 
Je t’avais déjà communiqué ma peur des fusils et des tenues militaires.

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Poème N. 28

Je m’entraine à la cécité tous les jours.
J’essaye de reconnaître les endroits en tâtonnant
Dans la rue, je garde les trous par cœur, 
L’emplacement des poubelles,
Les tabacs et autres choses.
J’échoue à repérer les points de contrôle militaires,
Je ne vois pas les fusils
Je ne vois pas la mort
Je ne vois pas la ville,
Je m’entraine à la cécité :
Il y a un rideau noir terrible 
Flottant dans le non-lieu. 

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Poème N. 35

Doucement,
Doucement, Ô dame qui fouette le tapis 
Par ta grande canne,
N’entends-tu pas le bêlement des moutons à qui on a coupé les laines
Et le grincement du pauvre métier à tisser en fredonnant une triste mélodie
Durant six mois passés à tisser ton tapis :
La dame à la canne répond désagréablement : Qu’est-ce que ça peut te faire ?
J’entends la voix des fleurs qui plient leurs cous en souffrance…
Doucement,
Doucement Ô dame
Les fleurs fleurissantes du tapis se brisent puis tombent par terre
Les piétons écrasent le printemps rapidement.

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Poème N. 32

Je suis un être qui s’ennuie.
Tout ce que j’ai demandé de Dieu
Est de réorganiser le monde chaque matin.
Peut-être que Dieu a pris ma demande au sérieux
Mais il a un peu exagéré en détruisant le monde.
Il a peut-être oublié sa potion magique en réorganisant mon pays
Et l’a laissée dans les mains des gamins imbéciles
Je suis un enfant gâté, imbécile
Qui n’arrête de se plaindre de tout.

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Poème N. 38

Avec la guerre
Nous tombons dans l’entremêlement de la ressemblance entre :
Les morts en tenues militaires
Les assassins, aussi, en tenues militaires
Des poèmes sur la mort 
Des poètes identiques à force de mourir
J’essaye de m’échapper de l’idée de ressemblance
Je n’aime pas les femmes endeuillées
Je n’ai pas d’enfant pour qui je craindrai la mort
Pourtant, comme les mères
Je m’assois sur le bord d’une tombe semblable aux autres
Et je crie : O mon enfant, ne nais pas maintenant !

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Poème N. 41

Je vais chanter une chanson pour la guerre
En la serrant comme je serre le bébé contre moi
Je la remuerai pour qu’elle dorme
Je lui chanterai comme chante la veuve
Qui vient d’accoucher un enfant handicapé
Je chanterai une chanson pour la guerre d’une voix de flûte entrecoupée :
Dors, Ô guerre,
Dors et ne grandis pas !

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Poème N. 42

De nouveaux épitaphes sur les murs.
La mort ne s’arrête pas alors.
Le matin passe, s’appuyant lourdement sur des béquilles
J’essaye de rassembler la journée écrasée
Je tire l’aiguille des secondes de ses oreilles : arrête !
Le temps me pique et s’en va rapidement.
Y a-t-il un médicament qui arrêterait l’avancement de la mort ?

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Poème N. 46

Peut-être que c’est la guerre, 
Peut-être que c’est l’impuissante,
Peut-être que c’est toi…
Il y a une femme qui ressemble à ta mère
Elle observe les soldats revenant de la guerre
Elle creuse une larme sur la vitre de la fenêtre
Son fils n’est plus rentré.

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Poème N. 47

Je ne veux pas vieillir dans cette commune :
Je les ai vus garer les vieilles voitures dans des fosses communes,
Verser l’huile dessus et les brûler.
J’ai vu les flammes brûler les bouts des nuages,
J’ai vu un nuage pâle qui a le visage de ma mère.
J’ai entendu une pluie noire qui tombe sur les cuivres des cœurs.
Aucun photographe dans cette commune qui garde encore mes photos
Lorsque j’étais jeune,
Le seul photographe est allé à la guerre 
Et il n’est plus revenu. 
On l’a photographié en tenue militaire avec sa mitraillette
Le photographe se met debout sur l’entrée de cette commune
Brandissant sa mitraillette contre moi,
Et moi j’ai peur de vieillir dans cette commune
J’ai peur de devenir la photo d’une femme misérable 
Qui a connu la guerre et elle a survécu ! 

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Poème N. 49

Parce que tu ne sais pas comment la guerre a éclaté,
Comment elle s’est mise à parcourir tes poèmes
En enlève les vocabulaires de la joie,
Comment elle t’a partagé 
Le lit, le pain, le baiser matinal de ta mère,
Comment elle a violé ta langue…
La parution de ton livre restera un tatou sur ton front,
Le tatou des survivants d’une interminable tuerie.

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