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Sélection de textes choisis par Hanadi Zarka

Premier recueil

La vie est calme dans la vitrine de Hanadi Zarka

p. 69

Notre vieille voisine qui possède

Une maison obscène abandonnée

Des chapeaux scandinaves

Des robes de nuit style seizième siècle

Est apparue aujourd’hui dans la nuit

Blanche comme la mort

Ses ongles ont grandi

Ses moustaches ont poussé

Elle hocha le regret par la canne du désir bercé

En s’appuyant sur le mur du néant…

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p. 70

Les algues tiennent compagnie aux maisons détruites

Elles cachent leur nudité

Deviennent vertes

Pour leur procurer la joie

Toutes seules, les algues

Gardent l’absence des propriétaires

Ce sont elles qui cachent l’oxygène

Pour le donner aux revenants de la mort, asphyxiés par le gaz

Les algues poussent sur les tombes

Les morts oublient la mort

Sortent la nuit

Touchent leur souplesse

Se rappelant de leurs corps

Et la nuit déborde de pluie…

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p. 103

 Pourquoi tu ne répares pas les robinets tombés en panne ?

 Parce que la guerre arrive.

Les murs de ta maison sont fissurés.

La guerre viendra et détruira toute la maison.

Pourquoi tu donnes tes nouveaux vêtements à tes amis ?

Je n’aurai pas besoin de vêtements dans le cimetière.

Tu fumes trop, tu ne lis plus comme autrefois ?

Lire des livres ne sert à rien au sein de l’enfer.

C’est quoi ce couteau que tu portes dans ton sac à main ?

J’ai peur de survivre à la guerre.

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p. 105

Il me manque tant de choses

Que je sois en forme,

Que l’univers arrête de crier

D’arrêter l’édition des livres par exemple,

Je pense au monde décousu lorsque je dors

 Je le liasse à ses illusions.

Peut-être que les avions se tromperont en bombardant, et dirai-je, les combattants se mettront d’accord pour une trêve,

Ils profiteront de mon sommeil et s’échangeront des insultes à voix basse

Ou par exemple j’imaginerai que je me lèverai le matin pour dire je suis juste fatiguée…

Ne sachant pas comment répondre à la question frivole de mon amoureux : aimes-tu toujours boire le café toute seule ?

Il ne comprend pas que je partage le café avec les photos des morts dans les rues et celles accrochées sur les poteaux d’éclairage !

Mon amoureux insiste à me nommer femme aisée

Et moi, je te déteste mon amoureux

Comme je déteste les papiers

Les stylos

Les cahiers de coloriage

Les directeurs de maisons d’édition

Tous ensemble

Et je veux que ce bruit se calme autour de moi

Pour que j’arrête de mourir.

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Second Recueil

                                            J’ai vu un nuage pâle

J’ai entendu une pluie noire

Poème N. 3

La tristesse, a-t-elle une couleur ?

Je touche la bague de ma mère,

Elle était dorée avant le départ de mon père.

Les papiers de notre livre sacré sont jaunis et tombés

La tristesse, a-t-elle des couleurs ?

 

La voisine veuve porte le noir,

Les traits de son visage grandissent et se fanent.

C’était une pomme,

Il est devenu jaune comme un citron

 

Je ne sais pas comment dessiner la tristesse,

Mais une ombre s’étend, comme celle de la guerre.

Elle a longtemps couvert le cadavre du pays/mon cadavre

Par la couleur rouge.

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Poème N. 4

Demande au vendeur les couleurs des cercueils et ses formes

Blanche et rose

Blanche et verte

Blanche et bleu clair

De belles couleurs

J’enverrai ma mère à la mort dans un beau cercueil

Mon frère revenant de Russie m’offre une grande matriochka

J’ouvre les poupées

Je prends la petite

Je lui dis :

C’est moi

La petite matriochka qui n’a pas fait d’enfant

Je serai la dernière fille de la famille

Je prends la poupée

Je regarde le cercueil avec distraction

Qui me choisira un beau cercueil ?

********************** !

Poème N. 12

J’aurai un enfant

Sans trop de difficulté

Je malaxerai la terre dans mon sang

J’y  soufflerai de mon esprit

Et je la pousserai.

Il sera fragile et n’aimera pas les guerres

Mais il aimera tant les femmes

Il appellera tous les morts : Ô ma mère

Mais mon enfant né du néant

Aura des enfants verts,

Qui regardent l’expérience

Alors que leurs pieds s’enfoncent dans la tempête

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Poème N. 20

Quelqu’un tirera sur moi,

Et moi je suis lâche,

Je t’avais déjà communiqué ma peur des fusils et des tenues militaires.

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Poème N. 28

Je m’entraine à la cécité tous les jours.

J’essaye de reconnaître les endroits en tâtonnant

Dans la rue, je garde les trous par cœur,

L’emplacement des poubelles,

Les tabacs et autres choses.

J’échoue à repérer les points de contrôle militaires,

Je ne vois pas les fusils

Je ne vois pas la mort

Je ne vois pas la ville,

Je m’entraine à la cécité :

Il y a un rideau noir terrible

Flottant dans le non-lieu.

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Poème N. 35

Doucement,

Doucement, Ô dame qui fouette le tapis

Par ta grande canne,

N’entends-tu pas le bêlement des moutons à qui on a coupé les laines

Et le grincement du pauvre métier à tisser en fredonnant une triste mélodie

Durant six mois passés à tisser ton tapis :

La dame à la canne répond désagréablement : Qu’est-ce que ça peut te faire ?

J’entends la voix des fleurs qui plient leurs cous en souffrance…

Doucement,

Doucement Ô dame

Les fleurs fleurissantes du tapis se brisent puis tombent par terre

Les piétons écrasent le printemps rapidement.

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Poème N. 32

Je suis un être qui s’ennuie.

Tout ce que j’ai demandé de Dieu

Est de réorganiser le monde chaque matin.

Peut-être que Dieu a pris ma demande au sérieux

Mais il a un peu exagéré en détruisant le monde.

Il a peut-être oublié sa potion magique en réorganisant mon pays

Et l’a laissée dans les mains des gamins imbéciles

Je suis un enfant gâté, imbécile

Qui n’arrête de se plaindre de tout.

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Poème N. 38

Avec la guerre

Nous tombons dans l’entremêlement de la ressemblance entre :

Les morts en tenues militaires

Les assassins, aussi, en tenues militaires

Des poèmes sur la mort

Des poètes identiques à force de mourir

J’essaye de m’échapper de l’idée de ressemblance

Je n’aime pas les femmes endeuillées

Je n’ai pas d’enfant pour qui je craindrai la mort

Pourtant, comme les mères

Je m’assois sur le bord d’une tombe semblable aux autres

Et je crie : O mon enfant, ne nais pas maintenant !

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Poème N. 41

Je vais chanter une chanson pour la guerre

En la serrant comme je serre le bébé contre moi

Je la remuerai pour qu’elle dorme

Je lui chanterai comme chante la veuve

Qui vient d’accoucher un enfant handicapé

Je chanterai une chanson pour la guerre d’une voix de flûte entrecoupée :

Dors, Ô guerre,

Dors et ne grandis pas !

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Poème N. 42

De nouveaux épitaphes sur les murs.

La mort ne s’arrête pas alors.

Le matin passe, s’appuyant lourdement sur des béquilles

J’essaye de rassembler la journée écrasée

Je tire l’aiguille des secondes de ses oreilles : arrête !

Le temps me pique et s’en va rapidement.

Y a-t-il un médicament qui arrêterait l’avancement de la mort ?

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Poème N. 46

Peut-être que c’est la guerre,

Peut-être que c’est l’impuissante,

Peut-être que c’est toi…

Il y a une femme qui ressemble à ta mère

Elle observe les soldats revenant de la guerre

Elle creuse une larme sur la vitre de la fenêtre

Son fils n’est plus rentré.

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Poème N. 47

Je ne veux pas vieillir dans cette commune :

Je les ai vus garer les vieilles voitures dans des fosses communes,

Verser l’huile dessus et les brûler.

J’ai vu les flammes brûler les bouts des nuages,

J’ai vu un nuage pâle qui a le visage de ma mère.

J’ai entendu une pluie noire qui tombe sur les cuivres des cœurs.

Aucun photographe dans cette commune qui garde encore mes photos

Lorsque j’étais jeune,

Le seul photographe est allé à la guerre

Et il n’est plus revenu.

On l’a photographié en tenue militaire avec sa mitraillette

Le photographe se met debout sur l’entrée de cette commune

Brandissant sa mitraillette contre moi,

Et moi j’ai peur de vieillir dans cette commune

J’ai peur de devenir la photo d’une femme misérable

Qui a connu la guerre et elle a survécu !

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Poème N. 49

Parce que tu ne sais pas comment la guerre a éclaté,

Comment elle s’est mise à parcourir tes poèmes

En enlève les vocabulaires de la joie,

Comment elle t’a partagé

Le lit, le pain, le baiser matinal de ta mère,

Comment elle a violé ta langue…

La parution de ton livre restera un tatou sur ton front,

Le tatou des survivants d’une interminable tuerie.

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