13 poèmes de Ramin MAZHAR |
Je te salue Leïla [1] ! La fouettée! La tourmentée! Salut la ruine ! L’exsangue! La mortifiée! Brisée, fracassée, étonnée et confuse… était ta voix Comment ça va? [On commémore l’anniversaire de la mort de l’Espoir demain] – Que les vents étaient odieux ! Vers où est allé le pissenlit dans l’air ? Raconte comment se porte la librairie ! Que devient le bistrot ? Raconte comment est la suite de ce grand deuil ! Je te salue! Dans ton face à face avec le loup enragé Qu’est devenu le village abandonné au vent? Comment vas-tu ? Scie-dans-l’os. Que dire ? La chambre n’est plus un toit à soi, l’épaule n’en est plus une pour pleurer Tu es mise en lambeaux pour la sainte religion Dans ce noir absolu « où le soleil ne s’est pas levé » [2] Prier pour l’école, prier pour un travail et… Raconte ce qui se passerait si la chanson n’était pas un crime Ont été vains cris, protestations et même prières Si mon bourreau n’était pas si pressé Dieu n’aurait pas déchu dans son immoralité Lynchée, tu es dévastée et tu n’as pas pleuré La terre est étourdie comme la tête d’un drogué, ma précieuse Assez! Nul besoin d’une nouvelle confession chaque soir Assez ! La coupe est pleine dans cette ville. Quémander pour l’air, nous ne le voulons pas Je te salue Leïla ! Champ de tulipes blessé par la hache [A la fin de ce poème épuisé, laisse-moi hurler Traduit par Guissou Jahangiri, relu par Patrick Navaï
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De pas en pas, de souffle en souffle je t’aime Contre les traditions meurtrières je t’aime Tes baisers sont tes prières et tu es croyante Tes baisers sont ta contestation, tu es différente,De l’amour, l’espoir, l’avenir tu n’as pas peur Je t’embrasse au milieu des Talibans, tu n’as pas peurJe t’embrasse au coin de la mosquée, Au milieu du parfum sauvage de l’olive de Bohème… Et tu ne trembles pasJe t’embrasse dans les taxis, dans les rues Je t’embrasse contre les anathèmes des musulmansAu milieu des blessures, du sang et des cloques, Embrasse-moi à pleine bouche Au milieu des coups de feu des mitrailleuses, embrasse-moi à pleine boucheJe t’embrasse au cœur du chagrin et du deuil Tu m’embrasses au beau milieu des attentats suicides Tu m’embrasses pour nous nous envolions un instant au ciel Être jeunes et Rester seul à la maison et voyager seul Exploser comme une gorge nouée sous la pluie Apprendre à l’école à assassiner son frère Voir que ta part de cette ville n’est que l’ingratitude Viens doucement que je te prenne dans mes bras J’embrasse les larmes coulant sur tes joues Parle-moi même si toute ta vie, tu as tu tes mots Pose ta tête sur mon épaule Je t’embrasse dans les taxis, dans les rues Je t’embrasse dans la mosquée, tu n’as pas peur Au milieu des blessures, du sang et des cloques, Je t’embrasse au cœur du chagrin et des deuils Tu m’embrasses dans les cérémonies Traduit par Belgheis Jafari Alavi, relu par Maud Thiria
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Il y a encore ton gémissement, il y a une chance encore Pleine de pleurs est l’ambulance mon amour encoreCrépuscule… [rougeoyant] tu tombes Une fleur à la main, une balle dans la poitrine, tu tombes Chute du haut du balcon… tu tombes par terre La balle arrive et tu es soudain à terreTu as eu 20 ans, étourdi était le temps Folie, excitation étaient les deux mots de ta jeunesse Un millier d’ombres suspectes derrière… la pluie… Libérés nous avons couru sous la pluieMoi et toi, sommes arrivés à la fin dès le début Peur et menace grandissant avec nousQu’est t-il arrivé ? La maison devenue champ de danger Peur et menace étant plus grandes que nousDevenir adulte parmi les croyants et les impies Devenir adulte entre larmes, versets et fatwa Puis la mosquée, l’appel à la prière et l’intimidation Le bruit saccadé des coups de feu dans la tête puis Interminable et meurtrière, comme est orientale la patrie Péché ! Tes cheveux caressés par la brise Péché ! Musique, danse, regarder des films Une nuit épaisse est arrivée avec l’intention de te tuer Bonne action ! Se noyer entre zèle et honneur Péché ! Le nuage devenu pluie sur ton visage Bonne action! L’attentat à la bombe à l’hôpital Le temps s’est arrêté sous les bottes et les chars du jihad [7] Qui a craché du sang sur notre photo ? Il y a encore ton gémissement, il y a une chance encore Quelle sale époque… les yeux et les pluies Tu es brûlée… moi et ton corps calciné, l’hôpital Nous avions ensemble promis de fuir le monde L’automne t’a vaincue feuille par feuille, reste en vie Ne meurs pas pour que nous combattions, prenions des risques Ne meurs pas pour que nous combattions, de tout notre souffle Traduit par Guissou Jahangiri, relu par Patrick Navaï
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J’ai peur de mon portable, de ma poche, ne m’accompagne pas Je suis recherché depuis des jours, ne m’accompagne pasLa fièvre s’en va, l’angoisse la remplace J’ai peur de chaque passant que je croiseCes nouvelles grottes dans le mur sont suspectes Ce garçon de café, ces bistrots sont très suspectsNe sors pas, le marché et l’université ne sont pas sûrs Ce chemin est rempli de terreur, l’autre est la mère de tous les dangersJ’ai peur des rues, de la maison, du corridor J’ai peur de la bouteille de vodka cachée sous la tableTu es une maison en cour de destruction, tu ne le sais pas Tu es recherché depuis des jours, tu ne le sais pas Des centaines d’oiseaux attendent dans ta tête Il y a une odeur de tombes rue après rue après rue Traduit par Guissou Jahangiri, relu par Patrick Navaï
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Il a neigé ce matin dans maintes provinces La neige est tombée sur les traces du crimeÔ loup, de ton infinie solitude Sors, le monde a neigé pour toiTu chantes avec un nœud dans la gorge : « au revoir rose rouge » Je sens qu’il a neigé sur ta voixMon bonheur est la trace de tes pas dans la rue Petit à petit, hélas la neige est tombée sur ta traceTu es parti, plus aucune vapeur ne s’élèvera La neige est tombée de l’intérieur… de ta tasse de théLe bruit d’un coup de feu a resonné et jusqu’à ce que nous t’ayons trouvé Le monde a neigé sans finCouvrant goutte à goutte à goutte ton sang La neige est tombée sur les traces du crime Maintenant tu es une légende dans notre village Traduit par Guissou Jahangiri, relu par Patrick Navaï
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Si auprès de son amour on était heureux Voler deviendrait possible, si tes mains étaient des ailesLe monde entier est occupé à envoyer des armes Si une fleur il y avait, à envoyer…Je serais venu demander ta main un jour chez toi Si la situation dans le monde était seulement un peu normaleSi au moins on avait deux bouchées de pain Au moins on serait sorti de cette fosseTu aurais pu cacher ta peur Si tes lèvres étaient délivrées du bouton de fièvrePeut-être regarderaient- ils l’amour différemment Si leur interprétation étaient autre que l’éjaculationAu lieu de nos hurlements de souffrance pour la liberté Si leur armée était en train de périr Peut-on combattre le mollah avec une fleur ? Traduit par Guissou Jahangiri, relu par Patrick Navaï
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Contre les clercs, Du premier au dernier Tu mènes une guerre inégale Flottent dans ton sang tes chants, ta voix gorge nouée Ton début et ta finTes livres, ton rêve, tes choix et ton sommeil Nient l’oppresseurUn doute, une interrogation, une phrase qui questionne Toi mains vides, lui gaz lacrymogèneEmportée par la mélodie du piano, tu danses le tango Lui, gavé de munitions, fier de sa force au maximumJ’avance vers toi Soutenant ta danse et ton chant, Ta guerre féminine Attendant les beaux joursTon lot est calomnies, insultes, injures Lui, dieu dans sa poche et prophète au poing Mais sur cette colère désormais torrent, je te jure Que le bourreau soit châtié Traduit par Belgheis Jafari Alavi, relu par Maud Thiria |
Tu n’avais pas la taille du cyprès Ni la poitrine en cristal Ni la peau claire Et tu ne gonflais pas tes lèvres face au miroir Tu étais en colèreTes yeux n’avaient pas de coquetterie Ils étaient tristes Sous tes yeux, il y avait les cernes de l’insomnie Et tes lèvres étaient craqueléesTu n’avais pas de charme Les frissons envahissaient ton corps En pensant à toute cette oppressionToi, plus que pour tes ongles Tu t’inquiétais pour les forêts Ton cœur palpitait pour les biches en voie de l’extinction Et du pain si tu en avais Tu l’aurais partagé avec les chats et les cafardsEt moi non plus, je ne suis pas venu mourir à tes pieds Le jour où ma mort adviendra Je voudrais être face aux hommes armés À tes côtés Debout dans la rueTraduit par Hoda Sajjadi |
Notice biographique de Ramin Mazhar
Ramin Mazhar est né en septembre 1995 à Bamiyan que sa famille quitte immédiatement pour trouver refuge dans la capitale afghane. Après la chute des talibans en 2001, il peut aller à l’école, puis jusqu’en 2018 à l’université de langue et littérature persanes de Kaboul où il écrit des ghazals romantiques. En 2014 il rassemble des jeunes poètes dans un atelier littéraire. Et en août 2014 l’Afghan Pen international l’invite à Téhéran en compagnie de sept écrivains renommés d’Afghanistan. En octobre 2015 il reçoit à Kaboul le prix de poésie Qahar Asi. Il est officiellement journaliste depuis 2016 mais il poursuit son œuvre poétique. A partir de février 2019 ses textes clament son opposition au « processus de paix avec les talibans » lancé par les États-Unis. Et son poème « je t’embrasse parmi les talibans n’as-tu pas peur ?» devient un chant de lutte contre le fondamentalisme de la jeunesse afghane. En décembre 2019, il contribue à la libération anticipée de l’écrivain Zaman Ahmadi condamné à 20 ans d’emprisonnement pour un écrit blasphématoire
Après la chute de Kaboul en août 21, il est évacué par le gouvernement français. De son exil en France où il a le statut de réfugié politique il organise des ateliers de lecture en ligne et des cours d’écriture pour les jeunes, femmes et hommes d’Afghanistan.
[1] Leïla, la bien-aimée de Majnun : Une célèbre légende romantique de l’Orient
[2] « Que le soleil ne s’est pas levé » : fait référence au célèbre poème de Reza Barahani
[3] Zaher Hovaida, célèbre chanteur pop d’Afghanistan (1945-2012).
[4] Sayyid Qutb, écrivain égyptien et théoricien islamiste (9 octobre 1906 – 29 août 1966), influent sur les groupes islamiques extrémistes en Afghanistan.
[5] L’imam Muhammad Ghazali, célèbre juriste musulman (1058 – décembre 1111) qui rejetait l’étude de la philosophie.
[6] Le Serviteur de la Religion du Messager d’Allah (1890 – 13 octobre 1929), l’un des titres du roi d’Afghanistan qui renversa le gouvernement d’Amanullah Khan et se proclama Amir al-Mu’minin.
[7] Jihad, la guerre sainte pour l’expansion de la foi islamique.