(extrait du Bulletin trimestriel Le Serment , no359, édité par l’Association française Buchenwald Dora et Kommandos sur son site <asso-buchenwald-dora.com>
« Ce qui me tient à cœur, c’est de parler du combat pour la vie », racontait Floréal Barrier lorsque, mémoire vivante, il s’adressait aux collégiens et aux lycéens pour témoigner de son engagement dans la Résistance et de sa déportation à Buchenwald. L’ancien ouvrier-typographe est mort le 25 octobre 2015. Résistant de la première heure, la Nation avait reconnu ses mérites en le faisant Commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur, alors que l’État libre de Thuringe le décorait de sa plus haute distinction, l’Ordre du Mérite. Ses obsèques se sont déroulées à Nice dans l’intimité familiale, le 2 novembre. Avec l’accord de sa famille, Agnès Triebel et Dominique Durand y représentaient l’association qui lui rendra un hommage fraternel dans quelque temps. Notre amie Dominique Labigne était également présente. »
Floréal Barrier était né en 1922 à Trélazé, dans le Maine-et-Loire. Ouvrier-typographe dès son plus jeune âge, il mène des activités associatives, syndicales et de solidarité dans le cadre du Secours rouge international. Il aide, avec ses parents, des familles chassées de leur terre natale, les unes en raison du fascisme en Italie, les autres du nazisme en Allemagne ou fuyant la guerre civile en Espagne. Il participe à de nombreuses initiatives, dénonçant ces pays autoritaires et appelant à soutenir leurs victimes.
« Je me souviens, disait-il, d’un texte exigeant la libération de Ernst Thälmann, dirigeant du Parti communiste allemand, emprisonné par la police hitlérienne depuis 1933, sans penser qu’un jour, je me retrouverais à Buchenwald, où il fut exécuté. »
Plongé dans l’action résistante dès 1940, il devient clandestin en mars 1941.
Il est arrêté le 27 février 1943 à la frontière es-pagnole à Saint-Jean-Pied-de-Port. Il passe de forts en geôles, Bayonne, Bordeaux, Fort du Hâ, jusqu’au Frontstalag 122 de Compiègne, où il ar-rive en mars. Tombé malade à son arrivée, il ne part pas comme la majorité de ses camarades vers Sachsenhausen, comme le prévoyaient les listes SS, et reste six mois à Compiègne. Le 15 septembre, c’est l’appel général, les noms s’égrènent, environ 1 100, le sien tombe. C’est le grand voyage vers l’Allemagne et Buchenwald, où il arrive le 18 septembre. Il y passera 19 mois, sous le matricule 21802.
Après la période de quarantaine au Petit camp, il est envoyé à la carrière, puis au kommando Bau I, enfin à la Gustloff-Werke (Halle 10), affecté à la production de crosses de fusils qu’il participera à saboter avec ses camarades de la clandestinité. Après le bombardement du 24 août, il est affecté au kommando des charpen- tiers (Zimmermann Kommando), puis de nouveau à la Gustloff (Halle 13).
Floréal était membre de la Brigade Française d’action libératrice ; enfin, durant les dernières semaines qui précédèrent la libération du camp, il devint Lagerschutz, c’est-à-dire membre de la police interne du camp, poste de très haute et lourde responsabilité confié par la résistance clandestine aux détenus les plus sûrs et les plus intègres, une activité qu’il occupa jusqu’à son départ du camp de Buchenwald, le 27 avril 1945. Avec ses autres camarades Lagerschutz, il évita que des milliers de détenus partent dans les marches de la mort.
La disparition de Flo, comme l’appelaient ses camarades de toutes générations, c’est celle du dernier Lagerschutz, c’est aussi la fin de l’histoire vivante de son Block, le 40 (il était au Flügel A), où était rassemblé l’épicentre de la résistance allemande antifasciste, puis internationale. C’est au block 40 qu’était Reinhold Lochmann (12 ans de bagnes nazis, interné dès 1937 à Buchenwald, qui travaillait à la réparation des postes radio des SS et rapportait des nouvelles du front), mais aussi l’écrivain Jorge Semprun, le peintre José Fosty, le poète Yves Boulongne et bien d’autres. Après la Libération, malgré une santé détériorée par la déportation, Floréal reprend son travail de typographe puis de correcteur à l’Imprimerie nationale de 1961 à sa retraite, en janvier 1982.
Très tôt investi dans l’Association, il est membre du bureau et responsable de son journal, Le Serment. Il rejoint également, à partir de 1984, le Comité international Buchenwald-Dora aux côtés de Louis Ferrand et de Pierre Durand pour en devenir en 1986 et jusqu’à aujourd’hui le trésorier. Dans la vaste étude qu’il a consacrée au Comité international, l’historien Philipp Neumann écrit que Floréal « devient dès lors le bras droit de Pierre Durand », élu président du Comité en succession de Marcel Paul. Après la réunification allemande et la création de la Fondation des Mémoriaux de Buchenwald et de Dora, il se voit confier, en 1994, la présidence du Conseil (Beirat) des détenus près la Fondation.
Dans son message de condoléances, le directeur de la Fondation des Mémoriaux Buchenwald et Mittelbau-Dora, Volkhard Knigge, a rappelé que c’est sous sa présidence, que «le Conseil des Anciens détenus a élargi la voie vers une approche pluraliste de l’histoire des déportés et s’est internationalisé, que c’est à son action et à ses conseils avisés que l’on doit la décision prise par les autorités de la Fondation de créer à Buchenwald une nouvelle expo-sition permanente modernisée offrant aux générations nouvelles une approche pédagogique de l’histoire du système concentrationnaire et de la dictature nazie ».
Flo ne sera malheureusement pas là pour assister à son inauguration. C’est à Bertrand Herz et à Floréal Barrier que l’on doit aussi la conclusion entre le Maire de la ville de Weimar, M. Stefan Wolf, et le Comité, d’un testament des anciens détenus et l’engagement de la municipalité à prendre en compte la mémoire de leurs épreuves. C’est à lui aussi que l’on doit la pose de panneaux de mémoire et d’informations à l’entrée de la gare de marchandises de Weimar, là où s’arrêtaient les convois de dépor- tés avant que la ligne de chemin de fer entre Weimar et Buchenwald ne soit construite. Il avait été l’un des derniers à effectuer la douloureuse marche de la gare jusqu’au camp sur la « route du sang » avec ses camarades du convoi du 18 septembre 1943.
Flo était à Buchenwald, le 11 avril 2015, soixante-dix ans jour pour jour après la libéra-tion du camp. Déjà très fatigué, il ne put suivre toutes les manifestations qui accompagnèrent cet événement. C’est en avion sanitaire qu’il dut regagner son domicile.
La vie l’a quitté vers neuf heures du soir, le 25 octobre, alors qu’il regagnait sa chambre après un repas en famille. Il est mort debout.
Dominique Durand et Agnès Triebel